Les conduites dopantes fondatrices d'une sous culture cycliste (1965-1999)

Par Élisabeth Lê-Germain, Raphaël Leca
Français

Résumé

Alors que la culture sportive se fonde généralement sur des valeurs relevant de la démocratie, du désintéressement et sur des normes basées sur le fair-play et rejetant toute forme de tricherie, les conduites dopantes observées chez les cyclistes amateurs de bon niveau et professionnels révèlent l’existence d’une sous-culture dont les valeurs et les normes sont déplacées. L’idée même de tricherie n’est plus perçue, les normes sont gommées au profit de nouveaux modes opératoires contrôlés par l’entourage. L’influence du groupe est en effet essentielle dans le contrôle exercé sur les nouveaux membres. L’appartenance à ce même groupe impose les modes de vie du « milieu » organisés autour des conduites dopantes. Omniprésente, la chimie améliore non seulement les performances mais agit aussi comme le ciment du groupe : le produit semble facilement accessible et rassemble les coureurs dans une ambiance de franche camaraderie. Il est, au même titre que l’entrainement lui-même, un élément fondateur de la cohésion sociale. Mais pour entrer dans ce monde, il faut satisfaire les rites initiatiques et faire preuve d’allégeance au groupe. Ainsi, la volonté individuelle s’efface-t-elle au profit de la volonté collective. Un vocabulaire spécifique se développe. Des tactiques de course plus ou moins légales s’organisent. Entre 1965 et 1999, en dépit de la volonté nationale de lutter contre le dopage, cette sous-culture plus ou moins souterraine gagne du terrain face à la culture sportive, celle de l’antidopage qui devrait pourtant être la seule légitime. Tandis que les conduites dopantes s’affichent sans complexe au grand jour, les purs, en l’occurrence les récalcitrants à certaines de ces pratiques, sont bafoués et cristallisent autour d’eux tous les ressentiments liés à la défense du groupe. Mais dans le même temps, les procédés et techniques de dopage se transforment sous l’effet des progrès scientifiques et pharmacologiques. Ces nouvelles techniques, moins connues et réservées à une certaine élite, celle du cyclisme professionnel, relèguent aux oubliettes les conduites dopantes, artisanales, fondatrices de la sous culture cycliste observée. Ainsi, cette même sous culture apparaît elle en net recul à la fin des années quatre-vingt-dix.

Mots-clés

  • culture
  • sous-culture
  • conduites dopantes
  • cyclisme
  • groupe
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