Des femmes de l’ombre chez les hommes en noir : deux pionnières de l’arbitrage dans le football professionnel en France (1997-2019)
Si l’histoire des arbitres constitue un nouveau champ de recherches dans une histoire du football ayant atteint l’âge de sa majorité, l’essentiel des travaux se décline pour le moment au masculin autant qu’il concerne les « athlètes de l’arbitrage », évoluant au plus haut niveau du monde professionnel. Par-delà ce parti pris historiographique, cette invisibilité tient avant tout à la sociologie d’un football qui demeure un bastion de la masculinité : au 30 juin 2017, la Fédération Française de Football (FFF) ne compte que 159 128 licenciées (toutes catégories d’âge et fonctions confondues) sur un total de 2,16 millions de licencié·es. En 2014, moins de 2 % des arbitres sont des femmes (682 sur 27 343). Au cours de la saison 2018-2019, seules Stéphanie Frappart et Manuela Nicolosi évoluent dans le championnat professionnel de Ligue 2, la première au centre, la seconde en tant qu’assistante. Les pionnières de l’arbitrage, à l’image de Corinne Lagrange, Ghislaine Labbé ou Nelly Viennot ne semblent guère avoir fait d’émules depuis le milieu des années 1990 : en dépit de récents plans de féminisation du football, le rectangle vert demeure un « plafond de verre ». Prolongeant des travaux très contemporains français ou étrangers, cet article se propose, par l’étude de deux parcours biographiques (Ghislaine Labbé et Stéphanie Frappart) d’observer à l’intervalle d’une génération, la place singulière occupée par ces femmes de l’ombre. La consultation de la presse sportive, des archives de la FFF et les entretiens conduits permettent de retracer leur trajectoire personnelle et sportive : en identifiant les facteurs ayant contribué à leur ascension puis leur maintien au sein de l’élite par la fabrication d’une expertise ; en examinant leur relation à l’institution, à leurs pairs et aux hommes lors des matchs ; en interrogeant par le jeu de la comparaison les singularités et traits communs de leur carrière respective. À ce titre, le fait que Stéphanie Frappart soit devenue la première femme à arbitrer un match de Ligue 1 le 28 avril 2019 semble plus avoir valeur de « symbole » (au moins dans son traitement médiatique) qu’il n’incarne une rupture véritable.
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